Pourquoi une psychothérapeute ordinaire vient-elle à s'intéresser à l'extraordinaire ?
Pour qui a choisi le métier de thérapeute, quoi de plus normal que de s'intéresser à « l'anormal » ? A la source, et dès l'enfance, l'observation puis le désir de comprendre ont toujours été mes moteurs puissants. Pulsion scopique ou d'emprise sublimées, dit Freud, sont les ferments de l'esprit scientifique et de la recherche. Pourquoi pas ? Il y a eu le renforcement à l'adolescence de l'esprit critique qui ne m'a plus jamais quittée. Impossible d'accepter les idées établies sans les passer au crible de la contradiction. Et puis une heureuse transmission de l'héritage psychique familial : ne pas avoir peur de s'éloigner de la meute.
C'est en partie pour ça que, dans les années 70, la psycho était attirante : ce qui paraît n'est pas ce qui est. On doit décrypter, il faut trouver des hypothèses, faire face à des incertitudes, se laisser séduire par des engouements passionnants, tout en gardant sa vigilance. Mais dès que tout est trop convenu, trop conventionnel, trop pompeusement docte, la liberté de penser n'y est plus. Entrer dans une chapelle théorique, répéter comme des perroquets des axiomes, adopter les tics du gourou, éloigne de la vitalité première. On s'y ennuie.
Il m'a toujours fallu aller fouiller ailleurs : toutes les sciences humaines et celles du vivant, l'histoire des sociétés et celle des religions, les contes et mythologies comparées. Pour tenter de comprendre et percevoir le maillage des réseaux et des référence de la pensée humaine.
Tout naturellement, cette place est autant celle de l'aide que de l'écoute pour comprendre et surtout établir un terrain commun de co-élaboration avec le patient. Le ressort pour le thérapeute est cet émerveillement d'une rencontre quand il y a surgissement d'une vérité pour le sujet. Comme pour l'artisan, c'est la satisfaction de la « bel ouvrage ». Travaillant avec des jeunes en difficulté d'apprentissage, avec le poids du retard mental, j'ai pu vérifier qu'à chaque fois qu'un vrai questionnement est abordé, ils arrivent à transmettre la finesse d'un sentiment ou la logique d'un raisonnement. La bêtise ou la sidération cognitive signent le faux, l'imposé ou la peur. Combien de fois, les thérapeutes ont remarqué que le bizarre ou l'extraordinaire étaient présents en séance. Moi-même en ai eu maints exemples : coïncidence quand les enfants savent qu'une éducatrice est enceinte ou malade sans qu'elle l'évoque, étrangeté quand ils parlent à les « compagnons imaginaires » placés derrière leur épaule, onirisme quand ils disent avoir un double pendant le sommeil, délire inquiétant quand un monstre tueur les envahit peu à peu. Etonnement devant le colosse à l'esprit enfantin qui alterne les timbres de voix et les niveaux de raisonnement. Etrangement, dans nos métiers, ces faits relevés sont souvent gommés, comme peu dignes d'intérêt, purement et simplement.C'est le besoin d'une étude sur la psychosomatique en rapport avec la notion du temps qui m'ont fait aborder l'hypnose. Dans cet état modifié de la conscience le temps subjectif est tout : on peut le ralentir, le rallonger. Le rapport à autrui est aussi différent : les thématiques de l'influence, de la suggestion ou même de la soumission du sujet ont été les pierres d'achoppement avec la psychanalyse. Cependant l'intérêt de l'hypnose (dans un cadre thérapeutique clair et respectueux) est que les codes sociaux sont abaissés, le sujet davantage présent à lui-même. Les images ou sensations plus vivantes et tranchées. Le cerveau vit des possibilités qui semblent plus vraies que nature. Le champ de recherche est immense : la question de la conscience, de la réalité, le filtre des normes culturelles qui sont conjointement et paradoxalement garde-fous et œillères... Bien sûr, les expériences paranormales sont naturellement au cœur de ces questionnements. Moi qui étudie depuis des années les contes et légendes, je suis particulièrement sensible au fait que notre idéologie occidentale est pétrie de pensée et deréférences magiques que l'on tente d'expulser de notre champ conscient depuis le rationalisme des Lumières. C'est ce qui explique la douleur de l'incommunicabilité quand arrive une expérience « impossible ». On se croit fou et l'on craint d'être pris pour tel. Dès lors, la parole n'a plus de valeur... comme celle du sujet handicapé.
Le rejet est une peur
Ce qui m'étonne toujours quand on parle de l'extraordinaire est la précipitation superficielle à trouver des explications dites rationnelles qui sont parfois bien tirées par les cheveux. Même dans les milieux psy qui devraient être plus ouverts. Au lieu de dire: « on ne sait pas, posons des hypothèses » on dit « ce n'est pas possible ». A l'opposé, mais toutes aussi étonnantes, les réactions de collègues, plutôt confidentielles, qui parlent de dons qu'eux-mêmes possèdent, sans le divulguer : voyance ou prémonition, barrage du feu. Des kinés ou des ostéos pensent avoir des dons de magnétisme mais ne s'avisent pas d'en faire état. Puisque ça n'est pas possible, ça n'existe pas. Comme il y a quelques années avec l'hypnose, les jeunes psychologues chercheurs qui briguent des postes universitaires ne doivent pas trop se compromettre. Il est difficile de justifier son intérêt pour des sujets aussi peu sérieux. Certains collègues me présentent à d'autres comme celle qui est hors norme, farfelue... Curieusement, ça attire. Et chacun y va de son histoire. Un thérapeute qui reçoit un sujet ayant vécu l'extraordinaire ne doit pas avoir peur de voir basculer ses normes. Il se doit de connaître d'autres systèmes de référence sur l'humain que celui de la psychologie occidentale actuelle. Et, outre l'humilité indispensable à l'approche de ce genre de domaine, il est tout aussi important de garder les pieds sur terre, avoir un certain recul et une petite pincée d'humour.Par Isabelle de Kochko